Jade from Paris: Vendredi 13

samedi 14 novembre 2015

Vendredi 13

pray for paris


Hier soir, j'étais comme beaucoup de monde très heureuse d'être en week-end. J'ai même trouvé que c'était une belle soirée : après un dîner à la maison, j'ai eu le temps d'aller acheter des clopes avant la fermeture du tabac, mon Vélib' fonctionnait parfaitement et j'avais de l'espèce pour pouvoir boire quelques bières avec mon chéri et des copines dans notre bar habituel, l'Objectif Lune à Bastille. Le trajet en vélo était serein, même si j'ai commencé à croiser des voitures de police, gyrophares hurlants, à l'approche de l'opéra. Je ne me suis pas inquiétée. Après tout, c'était vendredi, et le vendredi vers la rue de Lappe à 22 heures, le ton monte parfois.

J'ai réalisé que quelque chose n'allait pas quand la mère de mon copain m'a décrit l'ambiance dans le quartier. Elle ne trouvait rien sur le net mais les sirènes retentissaient sans cesse sous les fenêtres, à quelques centaines de mètres... du Bataclan. Puis mon copain, à vélo lui aussi, m'a expliqué que la route, rue de Charonne, était bloquée pour "fusillade". C'est ce que la police lui a dit. Mes copines ont vu des flics enfiler des gilets par balle à toute vitesse un peu avant Bastille. C'est aussi à ce moment-là que des dizaines de tweets de victimes et de médias ont défilé sur Twitter. De gens blessés terrés comme des lapins pas loin du Bataclan, entre autres. J'avais les larmes aux yeux, j'ai appelé ma mère pour lui dire d'allumer la télé. Pendant ce temps-là, des clients du bar devant lequel j'attendais me regardais avec insistance. J'avais envie de leur hurler de regarder les infos au lieu de fumer leurs clopes, là, comme des cons en me matant avec un sourire aux lèvres.

Le temps d'être tous réunis, on a chopé un Vélib' pour foncer loin, vers Porte Dorée chez une amie. En roulant sur les trottoirs en pack de six, pour éviter les camions de CRS et les voitures de police. Impossible de retourner à République pour la nuit, le quartier était bouclé. On a pédalé comme des fous, on devait avoir l'air étrangement pressé pour les amoureux qui se baladaient main dans la main dans la rue.

Je crois que le choc a vraiment fait effet ce matin, quand j'ai vu cette vidéo tournée par un journaliste du Monde depuis sa fenêtre, avant qu'il ne descende donner de l'aide et se prenne une balle dans le bras. Et ce bilan de morts et de blessés, toujours plus lourd... Le choc s'est manifesté de deux manières : j'ai complètement flippé en croisant un schizophrène très violent chez McDonald's, comme s'il pouvait tous nous attaquer, puis j'ai fondu en larmes en passant le pas de ma porte il y a quelques heures. J'avais eu beaucoup d'espoir en voyant les avis de recherches de personnes disparues sur Twitter dans plusieurs coins de Paris et apprendre leur mort m'a complètement retournée. Je ne les connaissais même pas mais c'est comme ça.

Ces personnes devaient elles aussi être très heureuses d'être en week-end hier soir, le vendredi 13.