Jade from Paris: Romans d'Orient

lundi 4 mai 2009

Romans d'Orient


Salué par la critique britannique, Les amants de la Mer Rouge de Sulaiman Addonia mérite qu'on ne s'arrête pas sur sa couverture un poil cheap (noire et titre en fuschia, contrairement à l'image ci-dessus). Le narrateur, Nasser, est une jeune Erythréen ayant fui son pays pour le Soudan, puis l'Arabie Saoudite. Aujourd'hui âgé d'une vingtaine d'années, il vit de son boulot de laveur de voitures, entre la colle qu'il sniffe, le parfum qu'il boit et ses amis masculins et étrangers eux aussi. Car en Arabie Saoudite, fréquenter une femme non-mariée est punie par la loi, tout comme le fait de ne pas être un moutawa, un musulman obéissant à une interprétation stricte du Coran. Rajoutez à cela une certaine haine de l'étranger de la part des Saoudiens et vous obtenez un Nasser apeuré par la police religieuse et les coutumes qui ne seront jamais les siennes. Son rêve: revoir sa mère, restée dans la "Colline aux Amants" en Erythrée, et vivre entouré de femmes découvertes et au fort caractère, comme avant. Alors, quand une jeune fille cachée sous son abaya lui fait parvenir une lettre d'amour, il n'hésite pas une seconde: ainsi s'engage une longue correspondance entre un "rénégat" et une "chienne", l'un exclu de la société saoudienne pour ses origines, l'autre pour son sexe, malgré les menaces qui planent...
Le style est parfois cru mais l'histoire captivante du début jusqu'à la fin: Sulaiman Addonia frappe fort avec ce premier roman. A travers le quotidien d'un émigré perdu et sans avenir, c'est un portrait noir de l'Arabie Saoudite des années 80 qui est dressé, avec ses nombreuses obligations mais aussi contradictions. Comme les relations sexuelles entre hommes tolérées, ou plutôt "oubliées", par la police religieuse, alors que la seule vue d'une femme est punie sur la Place des Châtiments; ce paradoxe fait d'ailleurs écho à un fait divers repris par les médias il y a une année de ça, lorsqu'un jeune homme saoudien s'était fait violé par cinq de ses compatriotes. 1980s/20th century: what's new? J'ai eu l'impression de m'envoler un peu plus pour Djeddah au fil des 300 pages, et ce grâce aux nombreux mots du vocabulaire saoudien, des personnages très forts et parfois un peu clichés mais surtout des descriptions et des anecdotes intenses et touchantes, avec la Mer Rouge comme point central. Seul bémol selon moi: certains passages sont niais et sentimentaux mais montrent justement l'idéalisation des histoires d'amour par les jeunes innocents, tels Aladdin et Jasmine sur leur tapis volant. Lisez donc ce roman plein d'espoir rappelant étroitement le propre parcours de l'auteur, vous risquez d'en ressortir émus mais aussi révoltés.

Merci à Chez-les-Filles et aux éditions Flammarion!




Et voici un bouquin dont on a beaucoup parlé puisqu'il a récolté le Prix Goncourt l'an dernier: Syngué sabour d'Atiq Rahimi. Ce titre aux accents perses rend hommage à la "pierre de patience", élément magique et mythologique permettant à chacun de déverser ses peines et douleurs sans peur d'être trahi par les voisins. Jusqu'à ce que la pierre, trop pleine de souffrances, éclate un jour, signifiant que vous êtes libres de ces cauchemars. Imaginez maintenant une femme afghane dans sa maison miraculeusement évitée par les bombes pour le moment, son mari dans le coma installé dans une pièce, de l'amour, ou plutôt de l'attachement. Et une explosion, un jour, de la part de cette femme dévouée et discrète, qui va tenter d'avouer ses plus grands secrets (et ainsi s'émanciper) à son époux, devenu sa propre "syngué sabour". Difficile de faire la part des choses entre la vérité et sa folie, avec comme décor une unité de lieu déconcertante et l'omniprésence de l'homme de la maison, motif de tous ses chagrins. Plus court que Les amants de la Mer Rouge mais bien plus direct, ce roman a pour objectif de mettre les femmes à l'honneur, où qu'elles soient, mais je tiens tout de même à signaler que nous avons la chance de ne pas vivre comme nos soeurs d'Afghanistan (!). A lire, pour le prix mais pas que, même si ça n'est pas le phénomène littéraire de l'année selon moi.